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La lecture de cette oeuvre est offerte par l'auteur.

L'histoire des deux voeux à exaucer est vraie. Elle appartient à une quêtrice qui n'arrivait pas à se décider sur son sort. Quête ? Pas quête ? Elle a donc cherché à obtenir des réponses par des questions posées aux Tunkashilas. Ces réponses sont arrivées comme relatées dans le roman. La quêteuse a depuis terminé ses quatre quêtes.

L'interview sonore d'un homme médecine sur les quêtes de vision a été réalisée en octobre 2012.

Elle sera distillée au fil du livre. La première partie sera ici...bientôt

APONI - Chapitre I

— Putain de Tunkashilas  ! fit Marcel à lui-même pour éviter que les esprits ne l’entendent.

                    Trois ans s’étaient écoulés depuis le soir où il avait fait une promesse aux « grands-pères », aux Tunkashilas, ces esprits sacrés auxquels il croyait.
— Qu’est-ce que tu marmonnes ? demanda Yannick, sa femme, allongée à côté de lui.
— Tu m’as entendu ?
— Ben évidemment. Tu as remarqué que nous n’étions pas à un cocktail mais couchés côte à côte dans notre lit.
— Hum, fit-il en laissant tomber son roman sur le drap.
                    La chambre à coucher était éclairée par une unique lampe de chevet, suffisamment puissante pour découvrir une décoration inexpressive tentant de faire oublier une tapisserie verdâtre recouverte de tentures indiennes.
— Tu parlais des Tunkashilas ?
— Merde, les enfoirés ! blasphéma-t-il en guise de réponse.
— Quoi, chéri ? fit-elle toujours dans l’attente.
— Les Tunkashilas, ils m’ont répondu ! Ils ont répondu à mon second défi.
                    Elle souffla un peu, posa son livre de Süskind sur sa table de nuit, puis s’assied à côté de lui. La couette tomba sur son ventre, découvrant sa poitrine ronde et séduisante. Son corps blanc contrastait avec la peau un peu mate de son mari. Il remarqua ses seins mais préféra rester dans ses pensées.
— C’était quoi, ce nouveau défi ? demanda-t-elle.
— Je ne pensais pas qu’ils pourraient ! Je ne pensais pas qu’ils étaient si près de moi ! De nous ! bégaya-t-il.
— C’était quoi, ce nouveau défi ? fit-elle encore.
— Je ne pensais vraiment pas. Nom de Dieu ! continua-t-il toujours sous influence.
— Marcel ?! dit-elle pour le sortir de son emprise.
                     Il la regarda enfin, comme si cet appel avait eu un effet salvateur. Il tremblait encore lorsqu’il lui donna le fin mot de l’histoire.
— Tu te rappelles que cet après-midi j’avais déjà lancé un défi aux Tunkashilas ?
— Oui. Qu’ils t’apportent une pierre précieuse.
— Ce qu’ils ont exaucé dans le livre de Juliette.
— Je m’en souviens. Et tu leur as lancé un second défi ? Pourquoi ?
— Ben, c’est comme si tu demandais à Dieu de faire pleuvoir et qu’il se mette à tomber quelques gouttes, tu trouves ça pas mal mais insuffisant. Je voulais être sûr qu’il ne s’agisse pas de coïncidence, de hasard, tu comprends ? Je voulais être sûr que c’était bien eux.
— Et tu leur as donc lancé un second défi ?
— Oui.
— Et ?
— Serpent !
— Quoi, serpent ?
— Il fallait que quelqu’un me parle de serpent, expliqua-t-il de nouveau. Ou que je voie « serpent » quelque part.
— Et tu viens de trouver ça dans ton bouquin ?
C’est dingue ! Dans ce bouquin, y’a pas un animal. Même pas un chat ou un chien. Même pas un lombric ou un panda. Ni même un cheval. Et il faut qu’ils me foutent un serpent en pleine page ! Quand je pense que je voulais me coucher sans lire, et puis au dernier moment je me suis dit qu’une petite page m’endormirait un peu.
— Tu les as mis à l’épreuve, ils t’ont répondu. N’était-ce pas ce que tu voulais ?
— Si, certainement. J’avais besoin d’eux aujourd’hui.
— Voilà, ils sont là, fit-elle simplement.
— Oui, conclut-il, je vois bien qu’ils sont là.
                    Au silence lunaire qui suivit la phrase, Yannick sut qu’il n’avait pas tout dit.
— Quoi ? demanda-t-elle simplement.
                    Marcel posa son livre sur une caisse de bois qui lui servait de table de chevet.
— Ben, s’enlisa-t-il longuement, en échange de leur réponse je leur ai fait une promesse.
                    Yannick ne bougea même pas un orteil. Il posa sa main sur son ventre et la fit glisser sur son sein.
— Je leur ai promis de te faire l’amour tous les jours, tenta-t-il.
— Et moi je leur ai promis de te passer les doigts dans la
râpe à fromage électrique, tous les jours ! Et je ne parle que des doigts ! Qu’est-ce que tu leur as promis ?
                    Marcel glissa sa main sous la couette puis disparut sous l’épais édredon pour embrasser ses hanches.
— Marcel ? fit-elle encore.
                    Alors elle entendit une voix étouffée lui répondre.
— Je crois qu’on va passer plusieurs mois de juillet dans l’Aveyron.
                    Et c’est ainsi qu’une foi était née. Cela faisait plus de trois ans maintenant qu’il s’était engagé auprès de ces Tunkashilas. Le temps d’une semaine annuelle, il venait chaque été en famille vivre dans ce camp amérindien dressé au cœur de la nature. Ces sept jours de juillet étaient devenus une parenthèse inaltérable dans leur vie. Au fil du temps sa fille, Juliette, avait grandi. À tel point qu’il s’était rendu compte de sa féminité. Tous les semestres elle changeait de coiffure, de tête ou de style. En ces jours de vacances, avant que Marcel ne monte sur la colline pour sa promesse, son crâne supportait des cheveux courts et roux, et elle se promenait au milieu du camp avec un pantalon trop court pour elle et un t-shirt trop grand sur lequel était inscrit en lettres fuchsia « Le monde est une fleur ». Yannick quant à elle, était restée toujours aussi belle. Marcel en était toujours passionné. Sa longue traîne de cheveux blonds, ses jambes fines et interminables, son rire d’enfant ne cessaient d’exercer sur lui leur pouvoir hypnotique.


                   Et là, maintenant, il était nu, une nouvelle fois au milieu du Causse noir. Grâce à ce vieux serment. Fier de sa croyance.
                   Malgré une journée encore chaude, le froid de la veillée s’était installé comme une chape. Quelques astres déjà luisaient sur l’horizon. Les phares de rares voitures découpaient le chemin sinueux de la route de Peyreleau et le monde de la nuit prenait ses aises. Ce fut d’ailleurs une chouette hulotte qui lui annonça la venue des siens.
                   
Il se leva lorsqu’il entendit les premiers chants lointains. La mélopée indienne navigua avec le vent, tourna autour des pins, se cassant au passage sur les roches émergeantes du sol. Il savait que dans cet orphéon, sa fille, sa femme, la majorité du camp étaient présents et que ces chants étaient pour lui. Car cette année, contrairement aux trois années précédentes, il était le seul à avoir gravi la colline.
                   Il se mit alors à chanter avec sa tribu. Eux ne pouvaient pas l’entendre mais lui, bienheureux, jouissait du martèlement des tambours et de l’écho de leurs voix, retentissantes. Il commença à danser dans son carré, comme un sioux le ferait autour du feu sacré. Les sons commencèrent à le bercer, à l’envelopper comme une couverture chaude. Il sentait l’ardeur de ce feu fantôme. Il semblait même apercevoir le ballet des flammes rousses derrière ses paupières closes. « Grand-père, regarde-moi. Grand-père, regarde-moi, je prie. À l’univers entier, je vais envoyer ma voix. Ecoute-moi » chantait-il en Lakota. Il frappait le sol dur et sec, faisait virevolter ses bras. Son corps, transporté, semblait fusionner avec l’espace. Les chanteurs ne faisaient qu’un sur ce territoire de rocaille. Une rafale siffla. Une buse piaula. Ses lèvres psalmodiaient les paroles indiennes comme dans une transe. Les tambours redoublèrent d’efforts. Une voix grave, forte, lança de nouveau le chœur de la troupe.
« Tuhkasila wamayahka yo. Tuhkasila wamayahka yo cewaki yelo. Maka sitomniyah hoye wayih kte lo. Namakuh' yelo He-yo ».
                    C’était un dîner pour son jeûne. Il s'agissait de son repas du jour. La voix des autres.
                    Puis les peaux tendues se turent d’un coup et des cris enveloppèrent le décor d’un salut fraternel. Il stoppa net pour écouter leurs encouragements, leur soutien, leur réconfort, et libéra en réponse la même phrase qu’eux, avec une puissance égale à son exaltation :

— O mitakuye Oyasin !
                    Oui, mes frères, nous sommes tous reliés, pensa-t-il.
                    Des cris montèrent alors. Des cris de joie et d’harmonie. En réponse à sa solitude.
                    Il resta figé quelques instants, les yeux clos, laissant les dernières vibrations des voix libérer sa peau, avant de s’asseoir enfin. Le parc des Causses retrouva son silence. Le jour commençait à montrer des signes de fatigue et l’astre lunaire avait pris sa place au-dessus de sa tête. Autour de lui, comme une guirlande, à un mètre du sol, les quatre cent cinq bourses à prières formaient une frontière infranchissable autant qu’une protection spirituelle.
Il se rappela les heures passées, avant cette semaine, à plier les petits carrés de tissus et à les remplir de tabac. Puis à accrocher les petits paquets sur leur long fil, dans leur ordre de couleurs. Quelle patience lui avait-il fallu pour prier et enfermer dans les sachets ses intentions et ses vœux. Il s'agenouilla enfin auprès d'un jeune buis et se pencha vers les quatre cailloux qu’il avait alignés au pied du tronc chétif. Huit, en avait-il posé-là mardi midi, en guise de compte à rebours. Il passa en revue les quatre dernières pierres, les soupesa, caressa leur peau, longea leurs formes avec l’index puis les reposa une à une sur la terre ferme. Il les admira de nouveau, puis il se saisit de celle qui lui paraissait être la moins belle, de celle qui semblait vouloir le quitter pour de nouveau jouir de sa liberté, et il la lança avec vigueur au-delà de son territoire. Elle tomba dans un bruit de froissement et claqua sur le sol en atterrissant, mais n’effraya rien ni personne.
                    Il poussa un soupir de satisfaction et de réconfort. Après quatre ans, il ne lui restait désormais que deux humbles nuits à passer ici. Avec rien de plus que sa solitude, sa chanupa  et son sac de couchage en tout et pour tout. Et cette quatrième année était la plus belle de toutes. Une dernière semaine offerte en gratitude aux Tunkashilas, ces farceurs, auxquels il avait promis des années auparavant de monter sur la colline. Auxquels il avait promis de partir en
quête de vision. Un serment de quatre jours d’isolement en pleine nature, sans eau, sans nourriture. Quatre jours d’ascèse. Quatre années durant.
                    Ce soir-là, sur son bout de terre, perdu au fin fond du Causse noir, Marcel eut encore un soupir, un soupir de béatitude. Avant de s’habiller et de se glisser dans son duvet, il offrit au ciel étoilé et aux femmes qu’il aimait ses dernières paroles.

 

Mode d'emploi



Lors de la lecture de ce roman vous découvrirez des passages colorés. Ces indications vous permettent de comprendre qu'un lien (vers une vidéo, un document) ou qu'une précision est apportée au texte.

Dans la mesure où ce travail est long et abondant, tous les liens ne seront certainement pas encore actifs. Toutefois, les mots, les phrases seront déjà mis en couleur pour vous permettre de concevoir votre progression au fil du temps et de mesurer ce que vous aurez découvert, ou pas, et ce qu'il vous reste à découvrir.

Le texte est blanc pour permettre de facilité l'approche de cette interactivité.

Un téléchargement libre sera bientôt possible sur ce site, au format d'une liseuse, pour vous donner la possibilité d'une lecture plus "romanesque".

Dans cette attente, je vous souhaite une très bonne découverte.

Frédéric Staniland 

Voilà à quoi ça ressemble une râpe à fromage électrique...

et ce n'est pas drôle du tout !

Traduction des paroles Lakota :

Grand-père regarde-moi

Grand-père regarde-moi, je prie.

À l'univers entier je vais envoyer ma voix

Ecoute-moi !

©Laura Mare Éditions
Dépôt légal 1er trimestre 2011
ISBN 978-2-918047-56-8

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